Plainte contre les Ehpad Orpea : pourquoi l’État veut faire payer le groupe

La double enquête administrative déclenchée après la sortie du livre «Les Fossoyeurs» a confirmé des dysfonctionnements au détriment des résidents et des finances publiques. Le gouvernement annonce la saisie du Procureur de la République et demande la restitution de dotations.

L’État exigera au groupe Orpea le remboursement des dotations publiques qui auraient été détournées de leurs fins. REUTERS/Stéphane Mahé
L’État exigera au groupe Orpea le remboursement des dotations publiques qui auraient été détournées de leurs fins. REUTERS/Stéphane Mahé

    Deux mois après la sortie du livre « Les Fossoyeurs » de Victor Castanet dénonçant les dérives du groupe Orpea dans la prise en charge des personnes âgées, le gouvernement passe à l’offensive sur le dossier des Ehpad. Brigitte Bourguignon, ministre délégué à l’autonomie, a annoncé ce samedi matin que l’État porte plainte et saisit le Procureur de la République à propos de graves dysfonctionnements constatés chez le leader de l’hébergement des personnes âgées.

    « Il y a eu des manquements sur le plan humain et organisationnel », a-t-elle asséné sur France Inter. « Il est hors de question de laisser passer le fait que des dotations publiques n’auraient pas été à destination de ce pour quoi elles sont faites », a-t-elle martelé. À savoir le bien-être des résidents. L’État exigera d’ailleurs le remboursement des dotations publiques qui auraient été détournées de leurs fins.

    Cette décision fait suite à une mission de six semaines menée par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’inspection des finances publiques (IGF). Les inspecteurs ont enquêté « sur place » et « sur pièces » au siège et au sein de dix Ehpad d’Orpea, selon les détails donnés par le gouvernement. Et leurs conclusions, auxquelles a pu répondre le groupe, confirment une grande partie des dérives dénoncées. Ainsi, la nourriture servie aux résidents ne permet pas de satisfaire leurs besoins nutritionnels : des repas pas assez copieux et avec trop de carences.

    Détournement de dotations publiques ?

    Sur le plan financier, les inspecteurs ont décelé des dérives concernant à la fois la prise en charge des résidents et les dotations publiques dont Orpea bénéficie. Elles trouvent leur source dans la constitution du budget d’un Ehpad qui se divise en trois sections : la partie soins financée par la Sécurité sociale, la dépendance par les Départements et l’hébergement par les résidents.



    Des dépenses liées à la partie hébergement auraient été financées par des fonds de la section soins et dépendances – remboursées par l’Assurance maladie et les conseils départementaux. Selon Le Monde, qui a eu accès au prérapport, il s’agissait « d’auxiliaires de vie faisant fonction d’aide-soignante » qui effectuaient des tâches hôtelières. Orpea aurait affecté leurs salaires aux dotations des Autorités régionales de santé et des conseils départementaux pour un préjudice s’élevant à 50,6 millions d’euros entre 2017 et 2020.

    Des millions d’euros de préjudice pour les finances publiques

    « Il existe une sorte de boîte noire avec des possibilités de vases communicants entre les différentes sections, a détaillé Brigitte Bourguignon. Ce n’est pas interdit, à partir du moment où cela va en direction de la bientraitance des résidents. » Interrogée sur le préjudice total pour les finances publiques, Brigitte Bourguignon a évoqué « plusieurs millions d’euros ». Son cabinet précise que « les différentes parties prenantes sont en train d’affiner le chiffrage ».

    Le rapport confirme aussi l’existence de « rétrocommissions » - ou remises de fin d’année - par des fournisseurs qui « auraient pour effet de majorer artificiellement le coût des achats financés par l’argent public ».

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    Enfin, certains Ehpad accueilleraient plus de résidents que le nombre de places accordées. Un énième tour de passe-passe pour faire gonfler les profits d’Orpea. Le groupe a d’ailleurs publié début mars un chiffre d’affaires mondial en hausse de 9,2 % en 2021 à 4,285 milliards d’euros. Mais au lendemain de la publication du livre « Les Fossoyeurs », la valorisation boursière du groupe avait fondu de plus de la moitié. Et depuis deux mois, le titre ne s’est pas redressé, terminant vendredi à 35,87 euros.

    « Les familles de pensionnaires et les salariés qui ont participé à mon enquête se réjouissent que l’État vienne aujourd’hui confirmer les révélations (de mon livre) », se félicite Victor Castanet, l’auteur du livre enquête. Tout en dénonçant le fait que le rapport ne soit pas rendu public. Le gouvernement invoque une impossibilité juridique. La question va s’inviter lors des auditions respectives, mardi et mercredi, de Brigitte Bourguignon et des dirigeants d’Orpea devant la commission d’enquête du Sénat.

    Le groupe a réagi samedi soir estimant que ce rapport définitif « permet de conclure qu’il n’y a pas de système organisé qui aboutirait à une maltraitance généralisée » et « dément certaines des allégations du livre les plus choquantes », notamment celle d’un rationnement des protections de l’incontinence. « Cette transmission (au Procureur) nous permettra de nous expliquer dans la sérénité, faire valoir nos droits et bien entendu collaborer avec la justice à chaque fois que cela sera nécessaire », se félicite Orpea qui réfute point par point toute tentative d’optimisation des dotations publiques.

    Dans un entretien au Figaro, Philippe Charrier, le PDG d’Orpea, « prend acte » de la décision du gouvernement, tout en disant regretter que le rapport d’inspection « ne soit ni rendu public ni mis à disposition des parties prenantes ». Il répète « qu’il n’y a pas chez Orpea de système organisé qui aboutirait à de la maltraitance » et dit avoir pris « toute la mesure de l’émotion légitime suscitée par ces dysfonctionnements ». « Au nom d’Orpea, je présente mes excuses les plus sincères aux résidents et aux familles qui en ont subi les conséquences. Nous devons et nous allons nous améliorer », a-t-il assuré.